dimanche 15 décembre 2013

Tales of Nephren-Ka, par Ran Cartwright

Rainfall, chapbook, 2006

Grande Bretagne, langue anglaise.

 




Petit voyage en Égypte (et ailleurs), le temps de remonter le temps et de plonger corps et âme dans les quatre nouvelles qui constitue ce recueil.
Resituons quand même un peu les choses avant de parler de cet ouvrage : Nephren-Ka était un pharaon égyptien, dont le culte qu’il voua à Nyarlathothep le condamna à être rayé des tablettes. Création d’Howard Phillips Lovecraft, on le retrouve dans quelques-unes de ses nouvelles (plus en citations qu’en personnage central), mais aussi dans l’œuvre d’autres auteurs, qu’ils soient continuateurs, pasticheurs ou qu’ils rendent simplement hommage. Comme ici, avec ce chapbook (comprenez « petit livret » ou « brochure »).
La force de son auteur, Ran Cartwright, outre son talent de conteur incontestable, est son passé d’archéologue. Il connait le sujet dont il parle, et même s’il n’a jamais eu la chance de pouvoir se rendre sur place, il est passionné d’égyptologie (principalement l’Ancien Empire et la 5e dynastie). Cela se ressent : loin d’un étalage académique, cette connaissance apporte une crédibilité essentielle à ses histoires. Et puis, je le répète, Ran Cartwright a un talent de conteur incroyable. Il sait mener ses idées avec brio, entrainant ses lecteurs jusqu’au bout. Un ouvrage essentiel (toujours disponible ici), pour les amoureux d’Égypte, les passionnés lovecraftiens, les adorateurs du Chaos rampant, ou simplement les lecteurs qui aiment les bonnes histoires. Tout ce beau petit monde se devant, bien entendu, d’être anglophone…

The Circle : Écrire des histoires avec pour cadre l’Égypte ancienne, voici le défit que se sont lancés 5 écrivains. Mais depuis le début de l’aventure, trois d’entre eux ont mystérieusement disparu. Ce soir, Jack a allumé son ordinateur : le dossier « Nephren-Ka_NTS » est ouvert. Il pense pouvoir trouver dans ses notes compilées pour sa participation à l’anthologie des renseignements suffisants pour faire le lien entre ces disparitions et ce qu’il pense avoir découvert. Mais rien ne concorde. La tempête qui fait rage semble se rapprocher. Alors, avant d’aller plus loin, Jack écrit un mail à sa collaboratrice Vicki, en y joignant son journal. Un message pour lui dire qu’il n’a plus le temps de chercher. Un message pour lui parler de ses craintes, de ses doutes… et s’il est, comme il le soupçonne, le quatrième sur la liste, elle pourrait bien être la cinquième…
The Chronicle : Sandi n'a jamais écrit auparavant, à part des listes de courses et des chèques, pour payer ses factures. Mais depuis quelque temps, elle prend note des rêves qu'elle fait. Ils sont la base de ses histoires, étranges et dérangeantes histoires. Elle n'est plus la même depuis qu'elle écrit. Elle est comme habitée, comme si une voix lui dictait ce qu'elle devait retranscrire. Elle n'est plus la même, elle n'est plus... elle-même. Elle est devenue la chroniqueuse de l'homme noir !
The Coming : Quand Khalid al-Alranna découvrit la tablette de pierre noire enfouie dans le sable, il ne sut en déchiffrer les inscriptions. Alors vint à lui l'homme noir, qui lui en enseigna la lecture. Et il l'instruisit sur bien d'autres choses encore. Ainsi, Khalid découvrit le passage vers le labyrinthe de Kish, la tombe de la reine Nitiget, et la table des cinq gardiens protégeant l'accès à la tombe de Nephren-Ka... mais la charge qui leur incombait est dorénavant terminée : le retour du pharaon noir est imminent, il va bientôt pouvoir faire planer son ombre sur le monde.
The Candidate : Nathaniel Kane est venu de nulle part. D'une oasis perdue au milieu du désert, comme il lui plait de dire à ceux qui veulent bien l'entendre. Ces derniers d'ailleurs sont de plus en plus nombreux, car Kane est bien vite devenu une star, adulée par ses compatriotes, puis par le monde entier. Il a le verbe juste, toujours le mot qu'il faut avec le sourire qu'il faut. Mais nul ne le sait encore, il n'a qu'un seul but, avoir le monde à ses pieds. Et pour cela, il va utiliser l'outil absolu : la politique. 
L'auteur, par la seule utilisation d'une date, va nous révéler son opinion sur la politique de son pays. La fin de The Candidate projette ainsi une toute autre lumière sur la vision personnelle qu'a Ran Cartwright de Nephren-Ka, le pharaon noir...

Ran Cartwright est un écrivain américain, qui a publié plusieurs titres chez ce même éditeur. Même s’il n’écrit plus (à priori) d’histoires lovecraftiennes, celles que Rainfall propose sont toutes inspirées de ce qu’il est commun d’appeler le « mythe de Cthulhu », ou bien de l’œuvre de Clark Ashton Smith… Un auteur qui mériterait largement de voir son œuvre adaptée et publiée en France !
L’illustration de couverture, ainsi que celles accompagnant chacune des nouvelles, sont dues au talentueux Steve Lines, un anglais touche à tout de génie : écrivain, musicien, parolier et, donc, dessinateur. Au sein des éditions qu’il maintient avec John B. Ford – Rainfall – il créait quasiment toutes les couvertures et illustrations de ses « chapbooks ». Mais je ne m’attarde pas plus sur lui, je vous laisse découvrir son site pour vous convaincre de son talent. D’autant que vous pouvez être certain de revoir passer son nom, tant son art est de celui que l’on aime, ici, par delà les montagnes hallucinantes...

Bonus :
Rien que pour vous, qui lisez ces lignes, un petit mot de Ran :
« … pour tes lecteurs: j’espère que vous réussirez à trouver un exemplaire de ce livre afin de bien profiter des histoires. Et découvrez ma collection d’horreur noire « At the Hotel Monticello » sur lulu.com. L’une des histoires – The Masquerade Ball – alterne les temps et les lieux, entre notre époque à l’hôtel Monticello de nos jours et le Paris d’il y a un siècle »
Pour sur, Ran, on n'y manquera pas !


Tales of Nephren Ka, par Ran Cartwright.
Rainfall, Chapbook.
Août 2006, 38 pages. RAIN 022
Couverture et illustrations intérieures : Steve Lines.
ISBN: -

lundi 21 octobre 2013

Virus, anthologie

Griffe d'encre, 2013

France, langue française.

—  H5N1, par Frédérique Lorient
Nulle surprise, lorsque la petite fille en visite au musée pense voir un ange quand une mésange s’y introduit par accident. C’est la première fois qu’elle voit un oiseau voler…
H5N1 propose une bonne introduction à cette anthologie : une idée bien menée, pour arriver à un final qui, même s’il est un brin prévisible, est assez efficace. Je trouve également à cette nouvelle, avec le recul qu’apporte la lecture intégrale de l’anthologie, une certaine forme de poésie… peut-être due au bleu de l’oiseau rebelle…

Rouge cerise à pois blancs, par Véronique Pingault
AAAAAA-tcha ! À tes souhaits. Voilà le virus tant redouté, non pour sa virulence, mais pour l’annihilation de l’inspiration qu’il provoque. Sauf que cette fois-ci, non seulement l’inspiration est bien présente, mais semble incroyablement décuplée…
Cette nouvelle est drôle, décalée, génialement saugrenue, maitrisée à la perfection. Véronique Pingault est une auteur que je découvre (comme la plupart ici), et sur l’œuvre de laquelle je vais essayer de me pencher un peu plus…

Utopie en sursis, par Isabelle Guso
Quoi de plus logique que d’emprunter l’escalier vide pour monter en classe, plutôt que celui surchargé ? Ce simple geste commis par sa fille, pourtant, va chambouler la vie d’Audrey. Car il va à l’encontre des principes, et nul n’a jamais osé, ni même pensé, le faire : monter par l’escalier prévu pour descendre est un signe de rébellion tout simplement inadmissible…
Cette nouvelle qui, avec ses quarante pages, occupe à elle seule un tiers de l’anthologie, nous fait gentiment sombrer dans une douce paranoïa, nous enfonce profond le doute sur notre existence, et fait germer (ou entretient, c’est selon) la terrible suspicion du complot. Cela commence sur un ton plutôt humoristique, pour se terminer sur une triste constatation, celle qui nous fait penser qu'il est plus facile de croire ce qu’on veut bien nous faire croire (la vie aseptisée, édulcorée, parfaitement réglée), plutôt que la sombre vérité crue, terrible, à peine crédible, et pourtant bien réelle.

Mise à jour, par Pénélope Chester
Autoscan. Aucune menace détectée. Voici comment commence la journée du robot du foyer, avant de préparer le petit déjeuner de ses maîtres. Autoscan. Aucune menace détectée. Rien d’anormal pour ce robot plus que normal, serviable, mais qui pourtant a peur. Autoscan. Peur des virus.
Une courte histoire, sympathique, presque une anecdote, qui se présente comme une petite bulle d’oxygène, après l’immersion totale en apnée de la précédente, et la chute (qu’on ne connait pas encore) provoquée par la suivante. De l’art de maîtriser le façonnage d’une anthologie…

Quand les clowns en treillis font gémir la musique, par Fabien Clavel
Le virus se répand, le symptôme est terrible, et rien ne semble pouvoir l’arrêter. Il défigure ceux qui en sont touchés, les faisant ressembler à des clowns, avec leur nez rouge, leurs cheveux épars, leur teint blafard. Un mélange de l’auguste, croisé au triste clown blanc, sérieux, austère, voire, finalement, potentiellement dangereux…
Le clown est parfois bien plus qu’une métaphore. Le titre, tiré de la chanson d’Hubert-Felix Thiefaine « 542 lunes et 7 jours environ », est plus qu’adapté à la gravité de l’histoire. Je suis peut-être bon public pour ce genre de choses, mais chapeau monsieur Clavel, qui fait que le hasard de la publication de cette anthologie, en cette période à nouveau trouble politiquement, fait résonner votre nouvelle d’un son grave qu’il serait de bon ton que l’on entende, et comprenne une bonne fois pour toutes !

Intrafolie, par Raymond Iss
Un itsi bitsi touni ini, tout petit, petit bikini… voilà la chanson typique, qui s’ancre dans le crâne au réveil, et dont on n’arrive pas à se défaire de la journée. Surtout quand elle est jouée en boucle par un intrafone défectueux !
Deuxième bulle d’oxygène, on en avait bien besoin après la claque assénée par Fabien Clavel juste avant et celle - on ne le sait pas encore - qu’on va recevoir avec l’histoire d’après. Mince, ici, Raymond Iss nous délivre une histoire drôle (non, non, je vous assure, elle est vraiment amusante !). Je dois avouer l’avoir lu ce matin, et avoir eu cette rengaine de Dalida dans la tête une bonne partie de la journée. Humour impeccable, ouf, ça fait du bien ! Merci Monsieur Iss (mais pas pour Dalida) !

Flocon rouge, par David Osmay
Bloquer le vieillissement. Pouvoir vivre longtemps, peut-être éternellement, débarrassé de tout type de virus. Un rêve. Un rêve ? Vraiment ? Même quand le Vaccin a été injecté à une petite fille tout juste ado, bloquant ainsi sa croissance.. ? Et si le rêve, s’était finalement de pouvoir vieillir ?
Voilà, une nouvelle claque. Oh ! Dans l’absolue l’idée pourrait être relativement simple. Mais ce qu’en fait David Osmay est magnifique. La narration est parfaite, et nous accroche tellement à la fatalité de ce qui arrive à cette fille que le dénouement – et quel dénouement ! – pourtant si évident quand on y repense ensuite, ouvre en grand les portes de l’espoir à toute personne qui subit le terne quotidien d’une vie de paria. J’aime. Voilà encore un auteur que je vais essayer de connaître un peu plus.

Contagion, Bruce Holland Rogers, traduit par Lionel Davoust
Un virus ? Rien moins qu’une aubaine financière pour les gros P.-D. G. qui débattent du comment propager l’information lucrativement.
C’est court. C’est suffisant. On referme l’anthologie en comprenant, grâce aux quatre pages de cette nouvelle, pourquoi les virus sont si terrifiants de nos jours. Comme le monde qui nous entoure…


Voilà donc une petite anthologie de bonne qualité, dans la droite lignée de celles proposées par griffe d’encre, sous la houlette de Magali Duez. Il en ressort l’idée que le virus, qu’il soit d’ordre bactériologique, psychologique, ou informatique, vient perturber en profondeur le mode de vie des protagonistes. Ce qui semble évident. Ce qui aurait pu l’être beaucoup moins, c’est de trouver des auteurs capables de bien cerner le sujet, d’en aborder les divers aspects, dans des styles différents, sérieux, drôles, avec un brin de poésie, voir de politique… C’est, encore une fois, le tour de force de Magali, qui propose avec les huit nouvelles sélectionnées une anthologie d’excellente facture. Une bonne analyse au final, pour des œuvres de fictions, qui décortiquent sévèrement l’état déplorable de notre société.
Alors oui, je ne fais que des louanges des ouvrages que je chronique (je ne vais pas non plus perdre du temps à lire et parler de trucs barbants), mais Griffe d’encre est une maison d’édition qui ne m’a jamais déçu, depuis que je la suis (de plus ou moins loin selon les années), c'est-à-dire quasiment depuis sa création…


Virus, anthologie dirigée par Magali Duez.
Griffe d'encre.
20 octobre 2013 142 pages. 11,50 euros
Couverture créée par Zariel.

ISBN: 979-10-92349-01-6

Site des éditions griffe d'encre: 
http://www.griffedencre.fr/