lundi 21 octobre 2013

Virus, anthologie

Griffe d'encre, 2013

France, langue française.

—  H5N1, par Frédérique Lorient
Nulle surprise, lorsque la petite fille en visite au musée pense voir un ange quand une mésange s’y introduit par accident. C’est la première fois qu’elle voit un oiseau voler…
H5N1 propose une bonne introduction à cette anthologie : une idée bien menée, pour arriver à un final qui, même s’il est un brin prévisible, est assez efficace. Je trouve également à cette nouvelle, avec le recul qu’apporte la lecture intégrale de l’anthologie, une certaine forme de poésie… peut-être due au bleu de l’oiseau rebelle…

Rouge cerise à pois blancs, par Véronique Pingault
AAAAAA-tcha ! À tes souhaits. Voilà le virus tant redouté, non pour sa virulence, mais pour l’annihilation de l’inspiration qu’il provoque. Sauf que cette fois-ci, non seulement l’inspiration est bien présente, mais semble incroyablement décuplée…
Cette nouvelle est drôle, décalée, génialement saugrenue, maitrisée à la perfection. Véronique Pingault est une auteur que je découvre (comme la plupart ici), et sur l’œuvre de laquelle je vais essayer de me pencher un peu plus…

Utopie en sursis, par Isabelle Guso
Quoi de plus logique que d’emprunter l’escalier vide pour monter en classe, plutôt que celui surchargé ? Ce simple geste commis par sa fille, pourtant, va chambouler la vie d’Audrey. Car il va à l’encontre des principes, et nul n’a jamais osé, ni même pensé, le faire : monter par l’escalier prévu pour descendre est un signe de rébellion tout simplement inadmissible…
Cette nouvelle qui, avec ses quarante pages, occupe à elle seule un tiers de l’anthologie, nous fait gentiment sombrer dans une douce paranoïa, nous enfonce profond le doute sur notre existence, et fait germer (ou entretient, c’est selon) la terrible suspicion du complot. Cela commence sur un ton plutôt humoristique, pour se terminer sur une triste constatation, celle qui nous fait penser qu'il est plus facile de croire ce qu’on veut bien nous faire croire (la vie aseptisée, édulcorée, parfaitement réglée), plutôt que la sombre vérité crue, terrible, à peine crédible, et pourtant bien réelle.

Mise à jour, par Pénélope Chester
Autoscan. Aucune menace détectée. Voici comment commence la journée du robot du foyer, avant de préparer le petit déjeuner de ses maîtres. Autoscan. Aucune menace détectée. Rien d’anormal pour ce robot plus que normal, serviable, mais qui pourtant a peur. Autoscan. Peur des virus.
Une courte histoire, sympathique, presque une anecdote, qui se présente comme une petite bulle d’oxygène, après l’immersion totale en apnée de la précédente, et la chute (qu’on ne connait pas encore) provoquée par la suivante. De l’art de maîtriser le façonnage d’une anthologie…

Quand les clowns en treillis font gémir la musique, par Fabien Clavel
Le virus se répand, le symptôme est terrible, et rien ne semble pouvoir l’arrêter. Il défigure ceux qui en sont touchés, les faisant ressembler à des clowns, avec leur nez rouge, leurs cheveux épars, leur teint blafard. Un mélange de l’auguste, croisé au triste clown blanc, sérieux, austère, voire, finalement, potentiellement dangereux…
Le clown est parfois bien plus qu’une métaphore. Le titre, tiré de la chanson d’Hubert-Felix Thiefaine « 542 lunes et 7 jours environ », est plus qu’adapté à la gravité de l’histoire. Je suis peut-être bon public pour ce genre de choses, mais chapeau monsieur Clavel, qui fait que le hasard de la publication de cette anthologie, en cette période à nouveau trouble politiquement, fait résonner votre nouvelle d’un son grave qu’il serait de bon ton que l’on entende, et comprenne une bonne fois pour toutes !

Intrafolie, par Raymond Iss
Un itsi bitsi touni ini, tout petit, petit bikini… voilà la chanson typique, qui s’ancre dans le crâne au réveil, et dont on n’arrive pas à se défaire de la journée. Surtout quand elle est jouée en boucle par un intrafone défectueux !
Deuxième bulle d’oxygène, on en avait bien besoin après la claque assénée par Fabien Clavel juste avant et celle - on ne le sait pas encore - qu’on va recevoir avec l’histoire d’après. Mince, ici, Raymond Iss nous délivre une histoire drôle (non, non, je vous assure, elle est vraiment amusante !). Je dois avouer l’avoir lu ce matin, et avoir eu cette rengaine de Dalida dans la tête une bonne partie de la journée. Humour impeccable, ouf, ça fait du bien ! Merci Monsieur Iss (mais pas pour Dalida) !

Flocon rouge, par David Osmay
Bloquer le vieillissement. Pouvoir vivre longtemps, peut-être éternellement, débarrassé de tout type de virus. Un rêve. Un rêve ? Vraiment ? Même quand le Vaccin a été injecté à une petite fille tout juste ado, bloquant ainsi sa croissance.. ? Et si le rêve, s’était finalement de pouvoir vieillir ?
Voilà, une nouvelle claque. Oh ! Dans l’absolue l’idée pourrait être relativement simple. Mais ce qu’en fait David Osmay est magnifique. La narration est parfaite, et nous accroche tellement à la fatalité de ce qui arrive à cette fille que le dénouement – et quel dénouement ! – pourtant si évident quand on y repense ensuite, ouvre en grand les portes de l’espoir à toute personne qui subit le terne quotidien d’une vie de paria. J’aime. Voilà encore un auteur que je vais essayer de connaître un peu plus.

Contagion, Bruce Holland Rogers, traduit par Lionel Davoust
Un virus ? Rien moins qu’une aubaine financière pour les gros P.-D. G. qui débattent du comment propager l’information lucrativement.
C’est court. C’est suffisant. On referme l’anthologie en comprenant, grâce aux quatre pages de cette nouvelle, pourquoi les virus sont si terrifiants de nos jours. Comme le monde qui nous entoure…


Voilà donc une petite anthologie de bonne qualité, dans la droite lignée de celles proposées par griffe d’encre, sous la houlette de Magali Duez. Il en ressort l’idée que le virus, qu’il soit d’ordre bactériologique, psychologique, ou informatique, vient perturber en profondeur le mode de vie des protagonistes. Ce qui semble évident. Ce qui aurait pu l’être beaucoup moins, c’est de trouver des auteurs capables de bien cerner le sujet, d’en aborder les divers aspects, dans des styles différents, sérieux, drôles, avec un brin de poésie, voir de politique… C’est, encore une fois, le tour de force de Magali, qui propose avec les huit nouvelles sélectionnées une anthologie d’excellente facture. Une bonne analyse au final, pour des œuvres de fictions, qui décortiquent sévèrement l’état déplorable de notre société.
Alors oui, je ne fais que des louanges des ouvrages que je chronique (je ne vais pas non plus perdre du temps à lire et parler de trucs barbants), mais Griffe d’encre est une maison d’édition qui ne m’a jamais déçu, depuis que je la suis (de plus ou moins loin selon les années), c'est-à-dire quasiment depuis sa création…


Virus, anthologie dirigée par Magali Duez.
Griffe d'encre.
20 octobre 2013 142 pages. 11,50 euros
Couverture créée par Zariel.

ISBN: 979-10-92349-01-6

Site des éditions griffe d'encre: 
http://www.griffedencre.fr/

samedi 12 octobre 2013

Still life, par Tim Lebbon

Spectral Press, 2013

Angleterre, langue anglaise

 
“Still Life” © Tim Lebbon/Spectral Press 2013. Illustration © Jim Burns 2013



En perdant Marc, Jenni a tout perdu.
Sa joie de vivre, sa raison d'être, mais aussi sa liberté.
Marc était volontaire au départ, jeune et plein de fougue, pour aller affronter les Finks au moment de l'invasion.
Depuis sa disparition, elle se rend souvent à la mare, un lieu secret, où elle reste de longues heures les yeux rivés sur le reflet du visage de celui qu’elle aime encore éperdument. Une totale communion avec son esprit, qui se commue parfois en réelle discussion. Car Marc lui parle. Pour lui dire que, pour elle, le temps de se battre n’est pas encore venu.
Pourtant, elle sait. Au plus profond de son être, et même si elle ne veut pas l’admettre, elle sait. Elle sent venir l’heure inéluctable où Damien, rare rescapé des batailles et chef de la résistance, viendra taper aux carreaux de sa fenêtre. Elle sait imminent le moment où elle se résignera à ce qu’il franchisse sa porte pour lui parler de l’engagement qu’elle doit prendre pour sauver le village. Et elle devine déjà qu’elle acceptera, prenant activement part au combat afin qu’elle puisse vivre à nouveau… ou mourir dignement. Et, qui sait, peut-être, rejoindre Marc sur la Route des Âmes !
Still Life est une novella qui pourrait, dans l’absolu, sembler banale. Voilà l’histoire d’une femme qui, seule depuis que son aimé est mort à la guerre, se retrouve dans la résistance face à l’envahisseur, et dont l’action marquera sans nul doute le début de la victoire. Oui, mais il y a un mais : ce n’est pas une histoire banale !!
Il y a les Finks, terrifiants, car non identifiables. Il y a leurs assistants, cruels et sanguinaires. Il y a le fantastique subtil et pourtant bien réel de l’esprit de Marc qui communique avec Jenni. Et il y a, en toile de fond, comme peut-être dressé le voile grisâtre des années qui suivent les guerres, cette lourdeur poisseuse et désespérée de la présence de l’envahisseur. Et l’horreur, terrible, de la Route des Âmes…
Non, définitivement non, cette nature morte que nous dépeint Tim Lebbon n’est pas banale ! C’est une œuvre saisissante, qui n’effraie jamais, mais laisse souvent parcourir de délicieux petits frissons dans l’échine. Un conte dont on attend une fin grandiose, et qui nous en apporte bien plus qu’on en espérait. Et si je termine en précisant que tout cela est servi par une écriture parfois poétique, sombre, belle et prenante, vous comprendrez le plaisir que j’ai éprouvé à sa lecture, plaisir dont vous devriez ne pas vous priver, si vous êtes anglophone.
En guise de conclusion, un remerciement particulier se doit d’être fait à l’éditeur, Simon Marshall-Jones, qui m’a fait l’honneur de m’envoyer ce texte avant sa sortie, quand je lui ai soumis mon envie de chroniquer les nouveaux titres de Spectral Press. C’est un grand Monsieur, un éditeur, un vrai, un passionné, qui respire, transpire et saigne pour ses auteurs et ses lecteurs. Un grand Monsieur, doublé d’un découvreur de talents (ou, quand il ne les découvre pas, il les confirme), et qui me régale de chacune de ses publications depuis le début de sa « petite », et pourtant si belle maison d’édition. Merci Simon.



Still Life, par Tim Lebbon.

Spectral Press, collection "Visions" IV.
02 Novembre 2013. 70 pages.
Couverture créée par Jim Burns.
ISBN: -
Précommande ouverte sur le site: http://spectralpress.wordpress.com/2013/10/01/still-life-ghosts-final-covers/


En bonus, pour le plaisir des yeux, voici la magnifique peinture de Jim Burns...


“Still Life” illustration © 2013 Jim Burns. “Still Life” © 2013 Tim Lebbon. Droits réservés. © Spectral Press 2013