lundi 24 novembre 2014

Leytonstone, par Stephen Volk

Spectral Press, 2015

Angleterre, langue anglaise.


“Leytonstone” par Stephen Volk. © Stephen Volk/Spectral Press 2014. Artwork © Ben Baldwin 2014


Fred est un petit garçon ordinaire, plutôt doué à l’école, un peu gourmand, qui vit dans la banlieue nord-est de Londres, dans le quartier de Leytonstone.
Il connaît le nom des variétés de pomme de terre par cœur, et ne rechigne pas à aider ses parents maraîchers dans leur boutique. Son père est un homme droit, et juste. Un soir, ce dernier va prendre une étrange décision. Il emmène son fils au poste de police afin qu’il y passe la nuit dans une cellule crasseuse pour lui inculquer ce qui lui paraît être le sens de la justice.
L’enfant, prostré sous une couverture puant l’urine, dans une pièce froide et minuscule, va passer des heures sombres sans sommeil à se demander quel crime il a bien pu commettre pour se retrouver dans cet endroit.
Cette nuit, loin de renforcer sa foi en la justice, ni sa foi en ses parents, va totalement déstabiliser le jeune garçon, qui posera désormais un regard différent sur ceux qui l’entourent. Cet événement s’avérera le point de départ de grands changements, pour lui comme pour ses parents.
Il portera aussi désormais un autre regard sur lui-même, chacune de ses actions devenant calculée, préméditée. Le petit Fred, lentement, va se transformer en grand Alfred… Mais ceci est une autre histoire, celle d’un maître du septième art !

Au vu du nombre de chroniques que je publie, d'aucun pourrait croire que je lis très peu. Je profite de l’espace qui m’est offert ici (je suis gentil avec moi !), pour me justifier. Il y a des livres que je ne finis pas, car ils sont barbants, mal écrits, soporifiques. Ils sont rares, mais ils sont. D'autres, captivants, me donnent envie d'écrire une chronique, mais je ne trouve finalement que très peu de choses à dire à leur propos une fois que je me trouve devant mon ordinateur. Puis il y a ceux, à l'inverse, qui ne m'inspirent rien du tout, ni passion, ni envie de partage. Et il y a enfin ceux que vous pouvez découvrir ici.
Les ouvrages édités par Spectral Press font invariablement partie de cette dernière catégorie !
Quand, il y a quelques années, je découvrais cette petite maison  d'édition, je fus en premier lieu attiré par le logo... Cela peut paraître idiot (d'autant qu'il ne figure pas sur la couverture du présent ouvrage), mais j'étais à l'époque aux prémices de ma propre envie de monter une micro maison d'édition, et le travail qu'effectuait déjà Simon Marshall-Jones était la projection exacte de la qualité dont je rêvais. Il n'avait à l'époque édité que deux ou trois chapbooks, petits livres de quelques pages ne comprenant qu'une seule nouvelle. Mais tout y était déjà : la qualité des histoires, celle du papier, ce principe du tirage limité à cent exemplaires signés par les auteurs, qui  apporte à leurs heureux possesseurs l'idée de détenir un objet rare et  précieux… et un excellent logo !
Depuis, Simon a confirmé ce qu'il ne laissait qu'entrevoir à l'époque : un homme de goût qui sait parfaitement mener sa barque, et nous entraîne à chaque publication dans les univers très personnels des auteurs qu'il choisit de publier, dans un format toujours de qualité... J'ai d'ailleurs déjà eu l'occasion, alors que le nombre de publications de ce blog est faible, de vous parler à deux reprises de ses livres : pour Still life, de Tim Lebbon, mais aussi et surtout pour Whitstable de Stephen Volk. Stephen Volk, oui, cet auteur responsable du livre dont je ne vais pas tarder à vous parler plus amplement, et qui fait que je martyrise mon clavier sous une frappe continue aujourd'hui... Cet auteur dont la lecture de l’œuvre, il y a un peu plus d'un an, m'a donné envie de créer ce blog, afin de partager avec vous mes coups de cœur ! Ni plus, ni moins !
Après nous avoir conté l'histoire d'un Peter Cushing vieillissant, meurtri par la solitude suivant la mort de son épouse, Stephen Volk nous invite cette fois-ci à rencontrer un tout jeune Alfred Hitchcock faisant face de façon brutale aux affres de la fin de l'innocence de l'enfance.
Cette histoire, comme on l'a vu, débute donc par cette anecdote devenue légendaire dans la vie d'Hitchcock lorsque le père l'amena passer une nuit au poste, afin qu'il comprenne les conséquences qu'un acte criminel peut engendrer... Nuit terrible qui, sous la plume de l’auteur, devient le terreau d'un véritable traumatisme, une obnubilation de chaque instant, qui accompagnera l'enfant, puis l'adulte, tout au long de sa vie.
De cet événement qui semble anecdotique, voire amusant quand il est conté de la bouche même du grand Alfred Hitchcock, l'auteur en  fait le déclencheur de ce que son personnage va petit à petit découvrir de sa propre personnalité. Il s'agit bien d'un traumatisme, une porte ouverte avec fracas sur le monde, un passage imposé à l'enfant qui le mènera vers l'homme qu'il va devenir, pour le conduire au statut de maître incontesté du suspens qu'il sera et restera à jamais.
Outre les nombreux clins d'yeux à son œuvre cinématographique que l'on y découvre, il y a ce sentiment fort, et cette thématique quasi omniprésente, du faux coupable condamné injustement, qui ne comprend pas comment sa vie a basculé si soudainement dans le cauchemar, et qui parsèmera la quasi-totalité de l’œuvre hitchcockienne. Cet enfant, qui travaille bien à l'école et aide ses parents dans leur boutique, pourquoi se retrouve-t-il soudain en prison, amené par son propre père ? Il sait qu'il n'a commis aucun crime. Mais est-il vraiment innocent ? On ne se retrouve pas gratuitement dans une cellule sordide, à pleurer et appeler sa mère toute une nuit. Il a fait quelque chose de grave. Il en est persuadé. Mais il ne saura jamais quoi ! Et ce sentiment de culpabilité, doublé de la certitude d'être condamné injustement, va désormais le poursuivre, et ce durant toute sa vie...
L'innocent écolier va alors chercher. Chercher à comprendre la peur, mais aussi le plaisir que peut ressentir un criminel. Chercher à trouver les motivations inspirées par le mal, pour pousser ainsi un être humain à commettre un crime. Et ses propres expériences, désormais, qu'elles soient celles de jeux interdits avec ses camarades, ou ses découvertes personnelles,  vont forger son caractère en pleine mutation. Il deviendra tortionnaire, menteur, irrespectueux envers ceux qui l'entourent, tout spécialement les filles. La fille, qui deviendra son cobaye, sa victime.
C'est précisément ce dernier point qui m'a interloqué, même si d'autres passages m'ont plus profondément dérangé.
Il ne faut pas oublier qu'il s'agit ici d’une œuvre de fiction. Certes, Stephen Volk use d'une personne connue et reconnue pour écrire son histoire. Et il aurait pu se perdre dans des idées saugrenues, ou se fourvoyer en voulant trop en faire. Mais c’est avec justesse qu’il distille les traits de caractère du géant que l’on connaît, dans la peau de ce petit garçon solitaire, intelligent, observateur, cynique au point d’en être presque misanthrope. L’exemple le plus flagrant, et le plus exploité, vient donc de ce peu de respect envers les femmes que témoignait, paraît-il, Alfred Hitchcock. Il est de notoriété publique qu’il avait des mots très durs pour ses acteurs, mais surtout envers ses actrices. S'il a eu le propos malheureux de qualifier ses comédiens de "bétail", et si plusieurs anecdotes de tournage ont été rapportées dans la presse par certaines de ses interprètes, il est bon de dire que celui qui entretenait le plus cette image était Alfred Hitchcock luimême. Par besoin sans doute  d'entretenir la légende le concernant.
Je trouve donc intéressant de voir ce qu'en a fait l'auteur du présent ouvrage. Car certains passages dérangent. Certaines actions du jeune Fred, comme il est appelé dans le récit, semblent incompatibles avec ce que l’on sait du personnage dont il est sensé nous raconter l'histoire. Pourtant, et il m'a fallu une poignée de jours de maturation pour le comprendre, ces événements alimentent à leur façon la légende Hitchcockienne. Je ne peux cacher, cependant, qu'il y a une séquence particulière de ce livre qui m'a fortement dérangé. Elle implique la mère du jeune garçon, qui se retrouve dans une situation terrible par sa faute, et je ne comprends toujours pas pourquoi cela se produit. Peut-être est-ce un outil pour tenter de noircir encore plus la fin  de l'histoire... Si certains d'entre vous lisent ce livre (et j'espère que ce sera le cas), j'aimerais sincèrement avoir votre sentiment sur la question...
Il reste que Leytonstone est un excellent livre, et qu'il est vraiment difficile de le lâcher pour servir les obligations quotidiennes. Stephen Volk est doué d'une écriture vraiment personnelle, parfois poétique, parfois dure et cruelle, mais toujours servie avec justesse de ton et sensibilité, qui nous permet de plonger dans cette histoire qui, je le confesse, ne laisse vraiment pas indifférent !
Il me tarde donc de le retrouver pour le troisième et dernier ouvrage qu'il consacrera à un nouveau maître du septième art, trilogie amorcée avec Whistable, et continuée avec maestria dans Leytonstone que je vous invite à lire dès sa sortie !
Les plus perspicaces d’entre vous l'auront remarqué : la date prévisionnelle de sortie pour ce livre est bien mars 2015 !
Cela semble un privilège, et que Simon en soit grandement remercié à  nouveau : la rédaction de la présente chronique n’a été possible que grâce à l'envoi du texte en preview, ce qui explique pourquoi certains renseignements restant encore inconnus au moment où j’écris ces mots n'ont pu être indiqués plus bas...
En attendant, vous pouvez toujours réserver votre exemplaire ici, et si ce n'est déjà fait, acquérir Whistable ou tout autre livre de cet excellent éditeur là !

Leytonstone, par Stephen Volk.
Spectral Press, collection "Visions" .
Mars 2015. Nombre de pages inconnu
Illustration de couverture: Ben Baldwin.

ISBN: (édition brochée - Collector - Ebook) inconnu.

jeudi 13 novembre 2014

La chambre aux maléfices, par J. Patton Smith

Haute tension, spectres - Hachette, 1985

États-Unis, langue anglaise, traduction langue française.



Lisa Emery, jeune fille de 16 ans, voit ses parents se déchirer jour après jour.
C’est pourquoi sa mère décide de l’envoyer vivre chez une grand-tante qu’elle connaît à peine, mais qui est le dernier membre de la famille susceptible de pouvoir accueillir sa fille. Un moyen pour les parents de faire le point, et de picoler tranquille loin du regard de leur enfant.
Laissant derrière elle ses amis et ses souvenirs d’enfance, Lisa arrive dans la froide et lugubre maison de sa grand-tante Nikki, où elle loge dans la chambre de bonne, non loin de la cuisine. C’est que la maison est grande, et seules trois pièces sont chauffées… Sa chambre a cependant la particularité de donner sur la maison voisine, et c’est à l’une des fenêtres de cette bâtisse tout aussi lugubre qu’elle aperçoit la silhouette d’une fille de son âge, qui bientôt lui fait signe de la rejoindre.
Ainsi fait elle la connaissance de Marie Worthington, qui a l’air un peu fofolle, et dont les goûts musicaux tant que cinématographiques sont absolument désuets, hors du temps. Mais très vite elles se lient d’amitié, malgré l’interdiction formelle promulguée par sa grand-tante de se rendre dans cette maison qu’elle prétend habitée par un vieux fou.
Elle fait aussi la connaissance de Greg, un jeune homme du coin, qui va lui raconter le drame vécu par la famille Worthington il y a plusieurs décennies de cela.
De plus, Lisa découvre bientôt la vraie personnalité du vieux fou d’à côté, qui lui raconte sa version des faits, et lui fait prendre conscience des esprits qui hantent les lieux…
À son corps défendant, Lisa se retrouve alors transportée dans le temps, pour revivre inlassablement cette date fatidique du drame. Cela lui permettra finalement de venir en aide à sa nouvelle amie, de découvrir le coupable, de libérer les âmes prisonnières du temps, et soulager les lieux de ses terribles souvenirs… et ainsi se réconcilier avec sa grand-tante Nikki, avec qui elle n’avait eu jusque là que des rapports conflictuels.

La lecture de ce volume est plus qu’agréable. Certes, le texte souffre parfois de maladresses, mais l’histoire est tellement prenante – même si on devine très rapidement qui tient le rôle des vivants et celui des… morts – qu’on fait très vite abstraction de ces faiblesses.
Il y a un petit paragraphe qui revient souvent, comme une rengaine, ou plutôt un leitmotiv. Même s’il est d’un ton plutôt joyeux, il confère à cette histoire une certaine mélancolie, glissant vers une tristesse absolue à mesure qu'on avance dans le récit. Et je trouve ce procédé plutôt bienvenu dans ce genre de littérature.
Autre point positif : le coupable reste inconnu jusqu’à la fin, et des petits passages ambigus, placés au bon moment, viennent semer le doute de façon magistrale quand on pense avoir compris. Ce qui fait qu’on se laisse mener ainsi au bout sans s’en rendre compte…
Bien, basiquement, nous avons à faire ici à une histoire de fantôme et de possession somme toute assez classique. Mais encore une fois, la narration bien menée sait nous tenir en haleine jusqu’au dénouement. Et comme j’adore les histoires de fantôme et d’âmes maudites, j’ai beaucoup aimé !
Alors oublions un instant les canons littéraires, ainsi que le type de lectorat visé par cette collection : nous avons ici un livre plutôt bien écrit, une intrigue rondement menée, pour un moment de lecture plaisant qui laisse de bons souvenirs. Et je pense, ma mémoire étant parfois soumise à des soubresauts de vaillance, que ce titre faisait partie de ceux que j’avais lus dans ma jeunesse, et qu’il m’avait déjà laissée une petite empreinte plutôt positive.
Au-delà du drame, noyau de ce récit, il y a aussi et surtout une vengeance et un amour hors du temps, qui viennent étoffer une histoire dont on a du mal à se sortir, pour passer aux frivolités futiles de la vie réelle…

A propos de l'auteur, et bien pas grand chose à dire une fois de plus, seulement qu'elle semble n'avoir écrit qu'un seul autre livre, inédit en France, The Ghost in the Swing en 1973...

Bonus, la couverture originale qui en dit bien plus sur le contenu du livre que la couverture française... :

Quatrième de couverture :
En gravissant lentement les marches du perron, Lisa songea soudain aux paroles angoissées de sa tante :
 "La maison d'en face est habitée par un vieux fou solitaire et dangereux. Surtout, ne t'en approche jamais. JAMAIS !"
Poussée par une force obscure, Lisa franchit néanmoins le seuil de la sinistre demeure.
Elle s'apprêtait à faire un inquiétant voyage dans le passé, au risque de ne jamais en revenir...



La chambre aux maléfices, par Janet Patton Smith
Hachette, collection haute tension - spectres N° 213
Traduction de Philippe Rouard
Titre original : The Twisted Room, collection Twilight : where darknees begins #12
Illustration couverture : Jean-Jacques Vincent

Novembre 1985. 160 pages

ISBN : 9782010113246

La chambre aux maléfices est ma seconde chronique pour la collection "Haute Tension" .
Lire aussi : "Cercle infernal"