dimanche 4 janvier 2015

La boîte aux objets perdus, par Chrystel Duchamp

Le miroir aux nouvelles, 2013

France, langue française.



De beaux tableaux
Romain n’est pas muet. Déjà solitaire, il a juste plongé dans un profond mutisme à la mort de sa sœur. Refusant tout contact avec les autres, il s’est enfermé dans une claustration absolue que seule l’arrivée d’un nouveau voisin viendra briser. Ce voisin, le narrateur de l’histoire, deviendra son seul ami, presque un grand frère qui le soutiendra et le conseillera quand il se mettra à la peinture. Car Romain est doué d’un génie macabre extraordinaire qui le mènera plus tard face à ceux qui ne veulent pas comprendre, face à la plus grande des aveugles qu’ait porté cette Terre : la justice des hommes.
En quelques pages, sous la forme d’un interrogatoire, l’auteur nous parle de la solitude, de l’amitié fraternelle entre deux personnes pourtant différentes, mais aussi de la névrose qui hante ces artistes qui trouvent leur inspiration dans les tréfonds de l’âme humaine. Et en toile de fond, la folie de l’humanité, la cupidité, et l’exploitation des plus faibles par les profiteurs. Oui, il y a tout ça en quelques pages !

Le médaillon
Le lieutenant Valorbes enquête sur des disparitions d’enfants. De fillettes pour être plus exact. Totalement par hasard, et après de longs jours, il retrouve l’une d’entre elles encore vivante, sur la route, loin du périmètre de recherche. L’équipe qui se charge de l’affaire, dont fait partie le capitaine Dumontheil, obtient alors un témoin de premier ordre en cette enfant. Le capitaine est d’autant plus impliqué qu’il est le père d’une des victimes de celui qu’ils appellent désormais « le chasseur »…
Cette nouvelle est composée de descriptions de personnages, des liens qu’ils ont avec l’enquête et de ce qui en découle. Une rapide mais efficace histoire policière, ponctuée de terreur, de tristesse et de solitude, qui nous porte vers un dénouement dont on devine rapidement la teneur, mais qui nous est si bien conté qu’on en frissonne encore quand on reste un peu plus que de raison les yeux rivés sur l’illustration qui sert de point final.

Un feutre d’or
Elle, qui était toujours en retard, ne supporte pas qu’on la fasse attendre. Elle vient d’acheter une maison, dans laquelle elle espère refaire sa vie, après ces longues années passées renfermée sur elle-même, à essayer d’oublier le drame. Même si elle sait qu’elle ne pourra jamais oublier. Même si elle sait qu’elle n’est pas coupable. Même si elle sait qu’elle n’est pas folle !
En voici encore une histoire terrible, qui nous propulse au visage l’histoire d’une femme seule, qui doit affronter les pires démons qui soient : ses souvenirs ! Elle, submergée par les remords, mais qui décide de se prendre finalement en main, pour se retrouver étouffée par les rumeurs. Car il n’est de pire solitude que celle que l’on ressent au milieu des autres…

Le fantôme et le couteau
Depuis qu’elle est toute petite, Judith pense qu’elle est un fantôme. Non. Elle sait qu’elle en est un ! Ses parents ont beau lui dire le contraire, elle en reste persuadée. Et ce sentiment ne fera que croître le jour où elle découvre qu’elle possède un don incroyable.
La solitude, encore, qui frappe, torture, étonne et inquiète, pour se déverser en flot multicolore au regard du monde qui reste aveugle. Une belle histoire qui nous impose d’ouvrir les yeux sur les fantômes qui nous entourent…

Deux coffres en bois
Perdre un parent, un père, est ce qu’il y a de plus terrible au monde. Cela peut même parfois laisser s’entrouvrir les portes de la folie aux héritiers, quand ils se déchirent devant le notaire, ou simplement quand l’un d’eux reste persuadé, même plusieurs années après le décès, qu’un magot a été caché quelque part. Laurent, la cadet de trois enfants, est de ce genre. Et depuis que le fantôme de son père lui apparaît la nuit, il a la conviction qu’un trésor se trouve dans la maison familiale, dans un coffre au couvercle gravé.
Pas de solitude pour cette histoire, mais la folie, la mort, le désespoir et la cupidité. Et les drames familiaux provoqués par ces fortunes, réelles ou supposées, laissées derrière eux par les défunts. Une histoire un brin moins captivante à mon goût, et dont j’ai deviné les ficelles bien vite (vieux briscard que je suis). Mais j’aime les histoires de fantômes, même les plus simples, même les plus évidentes. Cependant, j’en suis toujours à me demander pourquoi il n’y a que deux coffres pour trois héritiers…

La pelle
Martin n’a jamais accepté la mort de son épouse. Chaque jour, il se rend sur sa tombe avant d’aller au travail, pour y déposer quelques roses, faire le vide, et lui demander de revenir. Chaque jour, il remue la terre, car il refuse son départ. Il tient encore tellement à elle… Mais elle, tient-elle encore à lui ?
Une belle histoire d’amour fou, ou de folie amoureuse (ce qui pourrait finalement bien être la même chose !), bien ficelée, bien trouvée, bien écrite, qui réjouira tout amateur de vengeance d’outre-tombe et de vie post-mortem. Vous ne regarderez plus jamais les tombes couvertes de fleurs du même œil !

Le carnet
Depuis son plus jeune âge, Louis déteste voir la souffrance des autres. Celle de ce chat, d’abord, qu’il trouve agonisant dans son jardin. Puis celle de son père, sur son lit d’hôpital… Alors, plus tard, il semble juste, voire nécessaire, qu’il se tourne vers des études de médecine, afin de trouver le moyen de ne plus voir souffrir les autres.
Encore cette folie face à la mort, mais aussi face à la souffrance des autres. Cette histoire nous offre aussi une plongée dans le cas de conscience douloureux de voir un proche en survie, sous perfusion et oxygène. Et, en filigrane, la délicate question de l'euthanasie...

L'alliance des louves
Petite, elle aimait que sa mère lui lise des contes avant d'aller dormir. Surtout le petit chaperon rouge. Ce n'est que plus tard, et après avoir connu, aimé et été bafouée par les hommes, qu'elle réalise le sens véritable de cette histoire. Et cela ne sera malheureusement que conforté lorsqu'elle aura épousé celui qui, différent des autres, sera l'homme de sa vie...
Voici en quelques pages une belle métaphore du rapport que peuvent avoir les femmes avec les hommes. Du moins une certaine catégorie de ces derniers. Un rappel cinglant que l'homme est un loup pour l'homme (la femme ?), et qu'il est important d'écouter sa mère quand on est une enfant. D'autant que le pire prédateur s’avère souvent être celui qui est le plus affable, le plus aimant.

Ceci n'est pas une lettre
C'est une lettre poignante, une lettre qui explique tout. Un courrier qui, si jamais il le retrouve, aidera la police à comprendre le geste irréparable de Jeanne. Une lettre qui explique comment elle en est arrivé là, si vite, alors que son mari a mis plusieurs mois, voire plusieurs années, à y parvenir. Non, finalement, ceci n'est pas une lettre. Ceci est une confession poignante.
Alors que les deux précédentes nouvelles, je le confesse, m’avaient laissé un peu sur ma faim, tant les premières étaient magnifiques, voici qu’arrive cette non-lettre. Je suis resté comme en suspend, dans l'attente de la fin de ce courrier, qui n'est pas le dénouement de la nouvelle mais permet de souffler un bon coup avant de découvrir le final. Il manquait le sentiment de culpabilité au panel des souffrances humaines dans ce recueil : le voici, soutenu par cette missive d'une femme se sentant coupable des dérives de son époux. Beau. Mais terrible.

La boîte aux objets perdus
La routine au boulot, ce n'est pas drôle, surtout quand on prend soudain conscience qu'on ne comprend pas pourquoi, ni comment, on se retrouve à le faire. Alors il est parfois bon d'en parler, ne serait-ce qu'à soi-même. Cela soulage du poids mortel que la besogne parfois sale qui nous est demandée peut faire peser sur nos cœurs. Même si, dans le cas du narrateur, l'exutoire se matérialise plutôt en la collection d'objets pieusement rangés dans une petite boîte en bois...
Une nouvelle qui commence par "je fais un métier de merde" ne peut que me plaire. Bon, cela pourrait paraître un peu réducteur. D'autant que cette nouvelle, elle me plaît vraiment, et pas juste à cause de son début. Cette histoire écrite sur un ton humoristique, c'est une sorte de cerise sur le gâteau succulent que vient de nous servir l'auteur. C'est surtout le point final évident de ce recueil, conté par l'instigateur de chacune des histoires précédentes, et qui en est aussi très souvent l’inéluctable finalité. C'est la petite histoire de la routine, de celle qui raconte toutes les histoires, toutes nos histoires : celle de nos vies. Nous sommes tous un peu, parfois beaucoup, les personnages des neuf autres nouvelles. Car même si nous ne sommes pas tous des meurtriers potentiels, ni tous des aliénés en devenir, nous sommes tous des morts en sursis !

Ouvrir cette boîte aux objets perdus, c’est ouvrir une véritable boîte de Pandore. S’en échappent les pires misères de ce monde, que Chrystel Duchamp a pris soin d’y cacher : la solitude, quasi omniprésente, cette solitude qui tue ou rend fou. La folie, qui guette ou s’abat sur chacun des protagonistes, les poussant jusque dans leur dernier retranchement : la mort. La mort, celle des personnages, ou de ceux qui les entourent ou qui croisent simplement leur passage.
Il y est aussi beaucoup question de la détresse des enfants, car la folie des adultes trouve ses racines profondes dans les traumatismes de l’enfance. Et quels traumatismes ici ! Comme il est terrible de redécouvrir cette vérité élémentaire de l’influence qu’ont les événements qui peuplent nos vies dans nos premières années d’existence. Je dis que cette découverte est terrible, car les destins tragiques des enfants dans ces histoires sont comme des piqûres de rappel sur ce que l’on a pu vivre soi-même, et nous incite à porter un regard différent sur notre quotidien passé avec nos propres enfants. Cela pourrait même être une sorte de rappel à l’ordre, pour nous inviter à nous souvenir que chaque mot, chaque acte, aussi anodin qu’il puisse paraître, peut marquer à vie une personne, et changer sa façon d’être, ou d’appréhender les autres.
Mais foin de psychologie à deux sous, ce recueil de nouvelles est une belle découverte. De cette auteur, je devais à l’origine chroniquer un autre ouvrage, d’inspiration lovecraftienne : 47°9'S 126°43'W, celui qui chuchotait dans les abysses. Mais la curiosité m’a poussé à ouvrir avant cette boîte aux objets perdus, afin de goûter le style, en une sorte de mise en bouche, avant de déguster l’alléchante œuvre susmentionnée. Et j’ai adoré.
Ce sont ici dix nouvelles fantastiques, dans tous les sens du terme, même si certaines me paraissent peut-être moins prenantes que d’autres. Cependant, qu’on ne s’y méprenne pas : ce sont de véritables uppercuts qui ne laissent pas insensible, et qui parfois même ressurgissent quelques jours plus tard, nous révélant alors le puissant impact qu’elles ont eu sur nous.

Un livre que je recommande chaudement, qui pourrait ressembler à un coup de cœur, et qui ravira tout amateur de fantastique en général et d’histoire de fantômes en particulier.
Il ne vous reste plus maintenant qu'à le commander ici.

10 questions à l'auteur :
Chrystel Duchamp m'a fait l'immense plaisir de se plier à l'exercice de la petite interview. Une première pour moi, pour les montagnes hallucinantes et, plus incroyable... pour elle aussi !


Bonjour Chrystel, merci d’avoir accepté de te plier à ce petit exercice de l’interview.
Sachant que c’est la première fois que je me lance dans cette épreuve, je ne vais avoir que des questions stupides à te poser (maintenant que cela est précisé, allons-y) :

— Comment ce recueil a-t-il été conçu : nouvelles disparates, sélectionnées et rassemblées, ou bien écrites à la suite avec ce fil conducteur déjà en tête ?
Ce sont dix nouvelles que j'ai écrites à la suite, avec le fil conducteur en tête. J'avais cette idée d'une boîte – en l'occurrence le livre – qui renfermerait des objets – les nouvelles – retraçant des tranches de vie. Je voulais montrer que certaines existences n'étaient pas si lisses et que, derrière le miroir des apparences, se cachaient de noirs destins. J'avais envie de traiter les travers de l'humain d'une façon extrême : l'infidélité, l'égoïsme, la corruption, entre autres…

— Y’ a-t-il d’autres nouvelles dans les tiroirs, et d’autres projets de recueil ?
Des dizaines d'histoires attendent dans un tiroir que je veuille bien les éditer. Un recueil de dix nouvelles « Le registre des âmes perdues » devait faire suite à « La boîte aux objets perdus ». Nous aurions suivi dix âmes, dix fantômes errant sur Terre. Mais d'autres projets sont venus – et viennent encore – perturber la sortie de ce recueil.

— Concernant ta collaboration avec Éric Barge (l’illustre illustrateur) : ses dessins influencent-ils certaines de tes histoires, ou ne travaille-t-il qu’après avoir lu tes nouvelles ?
Jusqu'à présent, Éric travaille sur les dessins après avoir lu mes textes. Il découvre l'histoire et décide quel passage il va illustrer et comment. Je ne lui donne aucune contrainte. Je lui fais entièrement confiance. Il est, par contre, complètement influencé par mon écriture car doit coller au récit. En revanche, pour notre second ouvrage « 47°9'S 126° 43'W », certains de ses dessins m'ont amenée à ré-écrire des passages. Par exemple, les sous-marins d'exploration ont été dessinés par Éric et je me suis servie de ses croquis pour les décrire dans le texte.

— Est-il possible de nous en dire plus sur ton projet actuel (je ne te demande pas s’il y en a un… j’en suis persuadé !) ?
Oui, un projet est en cours de germination ! Il s'agit d'un thriller d'anticipation. Un roman qui sera, une nouvelle fois, illustré par Éric. Nous serons projetés dans un futur proche, dans lequel des robots bien trop humanisés s'intègrent à la société.

— Peux-tu nous parler de ta maison d’éditions (Le Miroir aux Nouvelles) ?
Lorsque j'ai écrit « La boîte aux objets perdus », le but n'était pas de l'éditer ou d'être édité. Puis, quand j'ai fait lire les dix nouvelles à mon conjoint, il m'a encouragée à les proposer à des éditeurs. Étant graphiste, j'ai mis en page mon manuscrit et l'ai envoyé à une dizaine de maisons d'édition. Sans même attendre de réponse, j'ai demandé des devis pour faire imprimer une centaine d'exemplaire. Lorsque j'ai reçu les premiers refus des éditeurs, le livre était déjà prêt. En fait, je crois que je n'avais aucune envie d'être éditée. J'avais envie de garder la main, le plaisir de tout faire par moi-même. C'est comme ça que le Miroir aux Nouvelles est né.

— Une légende dit que l’on trouve toujours un peu de l’auteur dans ses écrits. Ça ne te fait pas flipper quand on sait ce que contient cette boîte pleine d’objets perdus ?
Ça me fait flipper mais ça fait surtout flipper mon entourage ! Je suis de nature très positive, souriante et joyeuse. Mes histoires sombres ont interpellé beaucoup de proches. Comment une fille comme moi peut-elle avoir des idées aussi tordues ? Il y a en effet un peu de moi dans ce versant « dark ». J'écoute beaucoup de musique mélancolique, et la musique a une influence totale sur mes écrits. Pratiquement tous mes textes sont nés suite à l'écoute d'une chanson. Et je pense, tout au fond de moi, avoir un côté très sombre. Je suis très soucieuse de mes proches, de la destinée de notre espèce, de notre société… tout ceci m'amène à être parfois très pessimiste. Ce pessimisme nourrit mon écriture. Zazie dit d'ailleurs dans la chanson « Sur toi » qu'« on n'écrit pas sur ce qu'on aime, sur ce qui ne pose pas de problème ». Je me reconnais parfaitement dans ce vers.


— Parle-nous maintenant de tes influences littéraires, de ces auteurs qui t’inspirent…
Guy de Maupassant, HP Lovecraft pour les plus classiques et Jean-Christophe Grangé plus récemment. Ils m'inspirent mais m'ont donnée, surtout, envie d'écrire.

— Quant à ton coup de cœur du moment (littéraire, musical ou autre), quel est-il ?
J'ai eu un gros coup de cœur musical pour « Kromantik » de Soley, une chanteuse Islandaise de 33 ans. Plutôt orientée folk, je viens juste de la découvrir sur cet EP de 15 minutes. Un album très sombre, très mélancolique, sans voix, avec pour seul instrument le piano. Voilà le genre de musique qui m'inspire. J'ai eu aussi un gros coup de cœur cinématographique pour « Night Call » de Dan Gilroy.


— Question subsidiaire : quelle serait pour toi l’épitaphe idéale ?
« J'ai fait tout ce que je pouvais, en étant le plus honnête possible. »


— Et comme le veut la coutume, le mot de la fin sera pour toi. Si tu as un message à laisser aux lecteurs des montagnes hallucinantes, c’est maintenant.
L'un des membres des Doors, dans le film sur leur vie intitulé « When you're strange » s'exclame : « On ne veut pas que le public nous aime. On veut seulement qu'il nous écoute. ». Je partage ce point de vue : je veux juste qu'on me lise. Je me fiche d'être connue, reconnue, aimée, adulée. C'est la dernière de mes volontés. Et je ne me reconnais pas du tout dans cette société qui promeut la célébrité. Je veux d'ailleurs encourager tous ceux qui sont portés par une passion à continuer, à persévérer, sans se soucier du nombre de fans qu'ils ont sur Facebook. Faire ce que l'on aime sans concessions, constitue le plus beau des épanouissements.



La boîte aux objets perdus, par Chrystel Duchamp
Le miroir aux nouvelles
Illustration couverture et intérieures : Eric Barge
17 juillet 2013. 176 pages. 16,90 euros.
ISBN : 9782954578804

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